À la suite des révélations de France Inter et Médiapart sur les accusations lourdes qui pèsent sur Denis Baupin, nous ne comptons plus celles et ceux qui demandent  » mais si c’était vrai, pourquoi n’ont-elles pas porté plainte? « . Nous, féministes expertes des violences masculines contre les femmes, voulons prendre la parole pour redire la difficulté à témoigner et remercier pour leur courage ces femmes qui ont levé l’omerta. 

Les questions qui sont posées autour de cette énième affaire prouvent la méconnaissance générale de la stratégie des agresseurs, des mécanismes de la violence et de leurs conséquences sur les victimes. Les agresseurs ont une force que les victimes n’ont pas : ils ont des allié.e.s. Réseau d’ami.e.s prêt.e.s à les défendre, élu.e.s, patron.ne.s de presse, dirigeant.e.s politiques. Tous peuvent s’appuyer sur des gens prêts à témoigner du fait que c’est impossible, qu’eux le connaissent et que jamais il n’aurait pu faire « ça ».

Quand l’ordre patriarcal établi est ébranlé par des femmes qui osent dire ce qu’elles ont vécu, qui osent témoigner des violences dont elles ont été victimes, alors la meilleure stratégie reste l’attaque : les victimes seraient responsables. Elles auraient manqué à leur devoir de parler, de porter plainte, de dénoncer… Dans le meilleur des cas, la victime est présentée comme complice de ce qui lui arrive ; dans le pire des cas comme une femme instable, menteuse ou perverse qui a voulu casser la réputation d’un homme puissant.

Depuis l’affaire DSK, nous aurions dû apprendre. Nous aurions dû changer de regard sur ces violences patriarcales qui s’exercent à tous les niveaux de la société. Mais non. Georges Tron continue de se dire victime de femmes œuvrant pour le FN ; Jacqueline Sauvage est présentée comme complice des violences dont son mari s’est rendu coupable ; l’entourage de Michel Sapin qualifie l’agression sexuelle dont il est soupçonné de « blague potache ». Encore et toujours, le fusil médiatique se trompe de cible et de mots.

Pourquoi les victimes ne portent-elles pas plainte ? Alors qu’elles ne font encore que songer à cette possibilité, leur entourage, pas forcément par malveillance, se charge déjà de les dissuader, de leur faire peur : « mais tu ne peux pas faire ça, ce gars est brillant », « si tu fais ça, ta carrière est foutue », « et sa carrière, tu y as pensé à sa carrière ? »…

Pour celles qui décident quand même d’y aller, il faut pousser la porte du commissariat. Quand on sait le discrédit auquel sont confrontées les femmes venant porter plainte pour viol, on ne peut qu’imaginer l’accueil qui serait fait à une femme disant : « il m’a envoyé des centaines de SMS ». Si pour un viol présumé certains osent déclarer « il n’y a pas mort d’homme », des textos peuvent être interprétés comme des manifestations d’intérêt inoffensives, un jeu de séduction ou des grivoiseries. Or c’est cette euphémisation des agressions sexistes qui fait le lit de la culture du viol.

Les agresseurs, quand ils sont jugés, ressortent du tribunal avec une peine de sursis dérisoire et clament qu’ils feront appel. Le soufflé médiatique retombe, ils reprennent tranquillement le cours de leur vie et les victimes s’enlisent dans des procédures judiciaires sans fin. Georges Tron a été réélu, en dépit d’un procès à venir aux assises pour viol et agressions sexuelles. Qui se soucie du sort de ses victimes présumées, qui depuis 2011 attendent et supportent les rebondissements ?

Après le procès vient le retour à la vie réelle : les victimes perdent souvent leur emploi (dans 95% des cas lors des révélations de harcèlement sexuel), parfois leurs ami.e.s. Elles portent non seulement les traumatismes du harcèlement ou/et des agressions sexuelles dont elles ont été victimes, mais en plus la honte de n’avoir pas pu parler avant, de voir passer sa vie au microscope publiquement, et l’angoisse que cela arrive à d’autres.

Oui, il est extrêmement difficile de porter plainte. Victimes responsables voire complices, victimes méprisées, victimes accusées d’avoir ruiné les projets politiques de tel ou tel dirigeant, victimes coupables d’avoir entraîné des dommages collatéraux sur les familles des agresseurs. Cette fois-ci, ne nous trompons pas de cible : soutenez avec nous ces femmes qui témoignent, contre ceux qui nieront, qui tenteront d’inverser la culpabilité. Pour une fois, ne tombons pas dans la stratégie bien rodée des agresseurs.

Marie Allibert, Militante et porte-parole d’Osez le Féminisme!
Marie Cervetti
Eva Sas, Députée écologiste de la 7e circonscription de l’Essonne et Vice-présidente de la commission des finances
Emmanuelle Piet, Présidente du Collectif Féministe Contre le Viol

http://www.huffingtonpost.fr/marie-allibert/harcelement-sexuel-politique-baupin_b_9884586.html