Des grues et un homme, lettre collective au Premier Ministre

Monsieur le Premier Ministre,

L’attention médiatique a été le week end dernier accaparée par un homme juché sur une grue. Il revendiquait le droit de garde et de visite de son enfant dont il s’estime injustement privé.

De fait ces droits, dont il bénéficiait auparavant, lui ont été retirés à la suite  d’une condamnation pour soustraction d’enfants. Cet homme   se plaignait en outre des juges femmes qui n’attribuent, selon lui, la garde des enfants  qu’aux mères. Il se revendique d’une association de pères nommée « SOS Papas ».

En observant attentivement les chiffres il s’avère que les parents s’entendent entre eux sur la garde des enfants à 82% des cas et que la garde est attribuée d’un commun accord à la mère  la  plupart du temps. Ce qui se conçoit aisément puisque ce sont les femmes qui assument la majorité des taches parentales et domestiques.  Peu de pères en fait  réclament la garde. En revanche, ils sont plus à l’aise dans une garde alternée dont le nombre  progresse mais qui ne va pas sans poser de problèmes pour les enfants parfois. Les féministes sont d’accord sur le principe de la garde alternée, votée en 2002. Mais ce qu ‘elles ont rejeté à l’époque, et encore actuellement, c’est d’accorder  la garde alternée lorsqu’il y a des violences au sein de la famille.

Car  la famille n’est pas toujours ce que d’aucuns imaginent : un lieu qui peut être de temps à autre conflictuel mais qui in fine se révèle un cocon d’amour, de solidarité, de partage. Elle peut  être aussi un   lieu de violences. Contre la femme ou contre les enfants. Et dans ces situations la garde des enfants peut devenir un véritable enjeu pour le couple.

Le droit de visite ne doit pas être l’occasion, en cas de violences conjugales, de dénigrer la mère, de ternir un peu plus encore son image auprès des enfants, de lui enlever toute crédibilité. Les enfants ne sortent jamais indemnes d’assister à des violences perpétrées contre leur mère. Les conséquences peuvent même en être très graves du point de vue psychologique et de la construction d’une personnalité en devenir. Et notons le, malgré ce que certains disent, la grande majorité des violences sont exercées par les hommes contre les femmes. Notre société est inégalitaire en défaveur des femmes et non le contraire.

En cas de violences à l’encontre des enfants le droit de visite est souvent accordé et maintenu. Le lien familial prime.Envers et contre tout. Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui n’est défini nulle part. Quand la Mission d’évaluation sur les violences (titre exact ) a tenté de le définir, suivie en cela par l’Assemblée nationale, le Sénat l’a supprimé en juin 2010.

 Il arrive qu’ au retour des droits de visite les mères constatent que des violences ont de nouveaux été perpétrées. Elles décident alors, en osant enfreindre la loi, de ne plus satisfaire aux exigences du droit de visite pour protéger leurs enfants. Et ce sont elles qui encourent les foudres de la justice puisque leurs anciens conjoints se retournent contre elles pour non représentations d’enfants. Certaines ont déjà été condamnées à de la prison ferme.

Le problème est que, lors des divorces, les violences à enfants ne sont pas toujours dévoilées. Par peur que l’enfant ne soit pas cru la plupart du temps. En raison aussi de la honte et de la culpabilité qui pèsent contre les victimes de violences.  Mais la mère cherche à protéger son enfant en divorçant au plus vite. Et il arrive même, lorsque ces violences ont été dévoilées lors du divorce, qu’au nom du maintien du lien familial le droit de visite soit conservée sans qu’aucune participation associative ne soit  mise sur pied ou que celle ci soit totalement laxiste. Les parquets ne sont souvent pas tendres avec les mères !

Monsieur le Premier Ministre, nous qui accompagnons les femmes victimes de violences, nous avons de nombreux dossiers à vous présenter. Ceux ci relèvent encore d’une trop faible appréhension des violences faites aux femmes et aux enfants en France, de l’ignorance des situations concrètes, de préjugés sexistes contre les femmes et les mères encore  considérées comme perverses, mythomanes et rejetant les hommes. Et ces dossiers génèrent beaucoup de souffrances, de ressentiment et de violences.

Vous avez dernièrement demandé à Mme Taubira, Garde des Sceaux, de recevoir en urgence les associations de pères. Nous vous demandons donc instamment, Monsieur le Premier Ministre, de recevoir les associations féministes qui accompagnent les mères qui protègent leurs enfants. Leur parole doit être entendue.

CNDF (Collectif National pour le Droit des Femmes) http://www.collectifdroitsdesfemmes.org/
Femmes Solidaires http://femmes-solidaires.org
CFCV (Collectif Féministe contre le viol) https://cfcv.asso.fr/