Enquête sur les Comportements sexistes et les violences envers les jeunes filles

Dire la violence

 

Résultats de l’enquête CSVF (à télécharger ici).

Initiée à la demande du Conseil général de la Seine-Saint-Denis, cette enquête s’est déroulée auprès d’un échantillon représentatif de 1566 jeunes filles de 18 à 21 ans résidant, étudiant ou travaillant en SeineSaint-Denis. L’enquête porte sur les situations vécues par les jeunes filles au cours des douze derniers mois et au cours de leur vie, dans les différentes sphères publiques et privées (espaces publics ou lors de sorties, famille, relation de couple, travail, scolarité, études, université).

Première enquête quantitative en France sur les comportements sexistes et les violences envers les jeunes filles

C’est la première fois que l’enquête nationale connaît une suite concernant les plus jeunes. L’absence d’enquêtes analogues portant sur la même tranche d’âge dans d’autres régions de France, ne permet pas de faire de comparaison par rapport à l’ensemble du territoire. Il serait donc pertinent d’étendre cette enquête au niveau national, dans la mesure où d’autres enquêtes parallèles et certains éléments provenant de l’enquête ENVEFF, permettent de penser que le niveau de violences observé ici, n’est pas spécifique au département.

La parole des jeunes filles s’est libérée

Les taux de violences relevés dans l’enquête CSVF sont 2 à 5 fois supérieurs à ceux de l’enquête ENVEFF (pour les 19-24 ans). La parole des jeunes femmes s’est libérée, et dans un même mouvement, leur seuil de tolérance face aux comportements sexistes s’est abaissé. En effet, dans environ 68% des cas, les jeunes filles interrogées victimes de violences sexuelles en avaient déjà parlé autour d’elles. En 2000, c’était à l’inverse 68% des femmes interrogées qui n’avaient jamais évoqué auparavant les agressions subies. L’impact des nombreuses actions de sensibilisation auprès des jeunes apparaît ainsi nettement.

Les jeunes filles ont été particulièrement victimes de violences au cours de l’enfance et de l’adolescence

23% des enquêtées ont subi des violences physiques (coups violents, tabassage, menace armée, tentative de meurtre) au cours de leur vie.

Dans la plupart des cas, ces violences ont été exercées par des hommes adultes et le plus souvent dans le cadre de la famille. En effet, près des deux tiers des coups et autres brutalités ont été infligés par un membre de la famille ou un proche (père/beau-père ; mère/belle-mère ; famille et proches), tandis que les tentatives de meurtre sont essentiellement perpétrées à part égale par un membre de la famille ou par un inconnu. Parmi les violences physiques (coups violents, tabassage, il s’agit pour moitié de violences répétées qui se sont majoritairement produites avant 16 ans (pour les deux tiers).

13% des enquêtées ont subi des agressions sexuelles (attouchements du sexe, tentative de viol, viol) au cours de leur vie.

C’est majoritairement dans le cadre de la famille et des proches que sont commises ces agressions sexuelles et celles-ci sont 4 fois sur 5 perpétrées par un homme connu de la jeune fille victime. Les trois quarts des viols ont été commis par un membre de la famille, un proche ou leur petit ami.

Les deux tiers des agressions sexuelles commises par le père ou le beau père ont eu lieu avant 16 ans. Ce niveau élevé de violences sexuelles subies au cours de la vie (quasiment le double de celui de l’enquête ENVEFF) correspond cependant au même niveau qu’une enquête nationale récente où les mêmes questions ont été posées, ce qui confirme l’hypothèse que la parole sur les violences subies par les jeunes filles dans l’enfance s’est libérée.

Le cadre familial apparaît comme singulièrement violent

Les premiers résultats de l’enquête révèlent un cadre familial violent qui, loin d’être un lieu protecteur, est le théâtre des violences subies par les jeunes filles au cours de l’enfance et de l’adolescence. Les auteurs de ces violences subies au cours de la vie sont majoritairement des adultes de la famille et des proches. Ces résultats devraient conduire à une meilleure écoute et une meilleure prise en charge des filles victimes dans le cadre de la protection de l’enfance contre les maltraitances.

Des violences qui perdurent après 17 ans… (au cours des douze derniers mois)

L’enquête révèle en effet qu’au cours des 12 derniers mois, 30% des enquêtées ont subi des violences de toutes sortes dans les différents cadres de vie. De plus, 5% des enquêtées ont subi des agressions sexuelles au cours des 12 derniers mois.

Le cadre familial apparaît brutal, même pour des jeunes femmes majeures

L’enquête révèle l’ampleur de violences physiques privées subies par les jeunes femmes majeures : 11% des enquêtées ont subi des violences physiques graves dans le cadre de leur famille lors des douze derniers mois (une enquêtée sur 10 a déclaré avoir subi au moins une violence physique dans sa famille et 2% ont été menacé avec une arme ou ont subi une tentative de meurtre au cours des 12 derniers mois) et 15% de ces jeunes filles majeures ont reçu des gifles dans les douze derniers mois. Les agressions verbales en famille sont fréquentes (30%), mères et frères sont les plus virulents verbalement : un tiers d’entre eux ont agressé leur fille ou sœur. Les violences physiques sont davantage perpétrées par les parents (mère / belle-mère 37% et père / beau-père 34%).

L’espace public apparaît comme sexiste et inégalitaire

Au cours des 12 derniers mois, alors qu’elles circulaient dans un lieu public, 64% des jeunes filles interrogées déclarent avoir subi des atteintes sexuelles (pelotage, suivie dans la rue avec insistance, avances ou propositions sexuelles déplaisantes, confrontation à un exhibitionniste) et 2% déclarent avoir subi des agressions sexuelles. Les principaux auteurs des atteintes et agressions sexuelles dans l’espace public sont des hommes adultes, et non le fait de jeunes. Les agressions verbales sont également très importantes dans l’espace public (37%).

Le cadre du travail est également un lieu de violences pour les jeunes actives

Au cours des douze derniers mois, 13 % des enquêtées actives ont subi des atteintes sexuelles, 8% ont subi des violences physiques et 18% des violences verbales dans le cadre de leur travail. Les insultes et les injures sont principalement le fait de clients et d’usagers. Les atteintes sexuelles sont, dans 1 cas sur 2 commis par un collègue et, près de 4 fois sur 10, par un client usager et 1 fois sur 10 par un supérieur hiérarchique. Ces taux relativement élevés de violences au travail sont à mettre en relation avec l’âge des enquêtées et leur situation d’emploi. Sorties précocement du système scolaire, elles occupent des emplois peu qualifiés et souvent précaires, qui de plus les mettent davantage en contact avec des clients ou usagers (caissières, vendeuses…) ce qui les expose d’autant plus au risque de violences.

La relation de couple est déjà, pour certaines, le lieu de violences conjugales

Avoir un petit ami est une situation courante chez les jeunes filles de 18 à 21 ans : plus des 2/3 des filles enquêtées ont ou ont eu une relation de plus de deux mois avec un garçon au cours de l’année. La grande majorité (83%) de ces relations est une relation où les deux partenaires sont amoureux, cependant elles ne sont pas exemptes de violences.

4% des jeunes filles ayant eu une relation amoureuse dans les 12 derniers mois ont déclaré avoir subi des attouchements du sexe contre leur gré, tentative de viol, et viol. Les relations des jeunes couples semblent en effet très tendues (29% de harcèlement psychologique réciproque) mais aussi très violentes (12 % de harcèlement psychologique et 9% de violences physiques subies par les filles).

Enfin, les femmes mariées (peu nombreuses) sont celles qui ont déclaré le plus du harcèlement psychologique, principalement motivé par une volonté de contrôle de la part de leur partenaire, elles sont également beaucoup plus exposées aux agressions sexuelles. Comme l’ont montré d’autres études, les femmes, mariées précocement sont souvent dans des situations de vulnérabilité.

Les violences subies au cours de la vie dégradent fortement la santé des enquêtées

Si l’ensemble des jeunes filles qui n’ont connu aucune violence s’estime en bonne santé, 15 % des jeunes filles qui ont subies des violences physiques et sexuelles ont déclaré une santé « médiocre » ou « franchement mauvaise », accompagné d’une fréquence des maladies chroniques multipliée par trois. La proportion de jeunes filles qui déclarent se sentir nerveuses, déprimées ou désespérées concerne une jeune fille sur deux parmi celles qui ont subi des violences physiques et sexuelles. La part de jeunes filles ayant déjà fait au moins une tentative de suicide exprime aussi ce mal-être. Parmi les jeunes filles n’ayant pas été victimes de violences 6% ont déjà fait une tentative de suicide contre 34% de celles qui ont subi des violences physiques et violences sexuelles avant 16 ans. Un tiers de ces dernières a fait plusieurs tentatives.

Le fait d’avoir subi des violences tend à augmenter la propension à prendre des risques dans sa vie sexuelle

Si l’ensemble des jeunes filles qui n’ont connu aucune violence s’estime en bonne santé, 15 % des jeunes filles qui ont subies des violences physiques et sexuelles ont déclaré une santé « médiocre » ou « franchement mauvaise », accompagné d’une fréquence des maladies chroniques multipliée par trois.

La proportion de jeunes filles qui déclarent se sentir nerveuses, déprimées ou désespérées concerne une jeune fille sur deux parmi celles qui ont subi des violences physiques et sexuelles. La part de jeunes filles ayant déjà fait au moins une tentative de suicide exprime aussi ce mal-être. Parmi les jeunes filles n’ayant pas été victimes de violences 6% ont déjà fait une tentative de suicide contre 34% de celles qui ont subi des violences physiques et violences sexuelles avant 16 ans. Un tiers de ces dernières a fait plusieurs tentatives.

Le fait d’avoir subi des violences tend à augmenter la propension à prendre des risques dans sa vie sexuelle

La part de premier rapport non protégé pour les jeunes filles ayant subi des violences avant 16 ans est multipliée par deux par rapport à celles qui n’ont subi aucune violence. De même, le recours à une interruption de grossesse est plus fréquent parmi les jeunes filles qui ont subies des violences. Toutefois, grâce à la politique volontariste de planification familiale mise en place dans le département, 68% de ces jeunes filles ont pu avoir recours à la pilule du lendemain (et parmi elles deux tiers l’ont utilisée plusieurs fois) et 26 % à une interruption volontaire de grossesse.

La violence subie avant 16 ans augmente le risque de violences subies/agies à l’âge adulte

Les données collectées dans l’enquête CSVF permettent de tester l’impact des violences subies dans l’enfance. C’est le cumul, la répétition et l’auteur des violences qui font la différence. Les violences répétées grèvent l’avenir de ceux qui en sont victimes en produisant pour certaines une vulnérabilité, pour d’autre une agressivité indomptable, dans les deux cas une forte probabilité de violences subies/agies à l’âge adulte. La violence subie avant 16 ans, en particulier lorsqu’elle est cumulée, multiplie par 3 la probabilité d’être soit victime, soit auteur de violences à l’âge adulte.

Analyse sociologique : des facteurs qui s’entrecroisent mais qui font ressortir les éléments biographiques au détriment des caractéristiques sociologiques

Lorsque l’on prend en compte à la fois les variables socioculturelles et les difficultés vécues dans l’enfance, ces dernières apparaissent toujours comme les principaux facteurs aggravants des violences subies. Toutefois, la précarité peut aussi être un facteur de risque.

  • L’histoire personnelle : les difficultés vécues dans l’enfance (avoir vécu une situation de guerre, l’expulsion d’un pays, d’un logement, les privations matérielles, les violences intra-familiales et les conflits graves avec les parents) ont un impact considérable sur la victimation à l’âge adulte en multipliant les taux de violences par 4 lorsqu’il y a cumul de difficultés. ƒ
  • Les déterminants sociologiques : tous les milieux sociaux sont concernés (la prise en compte de la CSP des parents ne montre pas de liens significatifs entre les niveaux de violences subies et l’appartenance sociale) mais des conditions de vie défavorables (précarité économique et sociale) ont une incidence sur les violences sexuelles au cours de la vie : elle multiplie par 1,5 le risque d’en subir. Par contre, l’appartenance religieuse n’est pas liée au niveau de victimation des jeunes filles interrogées en Seine-Saint-Denis.

Les violences subies par les jeunes filles ont une incidence directe sur la santé des victimes

Les violences subies par les jeunes filles ont une incidence directe sur la santé et l’activité des victimes Pourtant, les jeunes filles victimes de violences physiques et sexuelles consultent peu un médecin suite à leur agression. En outre, les consultations médicales sont plus nombreuses suite aux violences physiques (10% au cours des 12 derniers mois et 23% au cours de la vie) qu’aux violences sexuelles (5% au cours des 12 derniers mois et 13% au cours de la vie). Les souffrances occasionnées par des violences sexuelles sont fréquemment tues, ce qui limite l’accès aux soins et conduit au repli sur soi comme l’illustre les 15% de jeunes filles victimes qui à la suite d’une agression sexuelle ont cessé leur activité pendant un certain temps.

Les suites et recours judiciaires

Globalement, le taux de plaintes pour violences physiques est plus de 4 fois supérieur au taux de plaintes pour violences sexuelles, et c’est dans l’espace public que se retrouve la plus forte proportion de plaintes (un tiers des violences qui s’y sont produites a été suivi d’une plainte contre seulement 4% des violences commises dans la sphère familiale et 3% des violences commises dans le cadre des relations amoureuses). Pourtant les jeunes filles ont déclaré un nombre de violences physiques importants dans les cadres privés (famille et couple), ce qui tend à confirmer la difficulté d’engager une procédure judiciaire à l’encontre d’une personne de l’entourage familial ou d’un proche, difficulté encore accrue lorsqu’il s’agit d’agressions sexuelles

Les données concernant les recours pour des faits de violence survenus au cours de la vie conduisent aux mêmes conclusions. Les violences physiques subies ont donné près de 3 fois plus souvent lieu à un dépôt de plainte que les violences sexuelles (sachant que pour plus de 80 % des agressions sexuelles l’auteur était connu). Et ce sont précisément ces violences sexuelles qui présentent la plus grande proportion de suites judiciaires et de condamnations.

Des taux de violences élevés envers les jeunes filles en Seine-Saint-Denis en adéquation avec d’autres données statistiques nationales

Les taux de violences relevés dans cette enquête sont particulièrement élevés, et ce, dans tous les cadres de vie. Toutefois, ces données ne sont pas caractéristiques de la Seine-Saint-Denis, elles sont au contraire en adéquation avec les données statistiques nationales produites régulièrement par le Collectif féministe contre le viol.

Un récent rapport de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies1 (2007), sur les usages de drogues et la violence chez les jeunes de 17 ans, montre que les taux de violences observés en Seine-saint-Denis ne sont pas différents de ceux du reste de la France : « les jeunes filles de SeineSaint-Denis déclarent tout autant d’actes de violence subie que les filles des autres départements ».

Observatoire départemental des violences envers les femmes
Direction de la Prévention et de l’Action Sociale
Tél : 01 43 93 41 95 – Fax : 01 43 93 41 99
Mail : eronai@cg93.fr