Le viol est-il un crime ?

Abstract : crime passible de 15 ans de réclusion criminelle, le viol est en réalité bien souvent minimisé, banalisé au cours des procédures. Entre correctionnalisation judiciaire et extrême mansuétude dans les peines infligées, on peut parfois même douter du caractère criminel du viol aux yeux de l’institution judiciaire. 

Le verdict rendu par la Cour d’assises du Val de Marne le 11 octobre 2012 dans une terrifiante affaire de viols en réunion – dix acquittements et quatre condamnations, dont des peines entièrement ou en grande partie assorties du sursis – a suscité stupeur et incompréhension. Plusieurs représentants politiques se sont exprimés, mettant en garde contre la tentation de banaliser le crime que constitue le viol aux yeux de la loi. Cette tentation existe bel et bien. N’en déplaise à certains, qui fustigent la trop grande place accordée aux victimes et dénoncent le risque de dérives « à l’américaine », nous sommes encore loin du compte. Non, les dénonciations calomnieuses ne sont pas légion, ni les peines trop lourdes, ni les dommages et intérêts exorbitants. Les obstacles sont si nombreux et les victimes souvent si seules que l’on est en droit de se demander quelle est la place réelle faite au viol dans la hiérarchie des infractions. Certes, aux termes du Code pénal, le viol est un crime, puni de quinze ans de réclusion, mais au-delà de la lettre, qu’en est-il exactement ? Et dans quel esprit l’institution judiciaire traite-t-elle ces affaires ?

Il y a tout d’abord la pratique, généralisée en France, de la correctionnalisation judiciaire, terme barbare désignant une pratique illégale, puisqu’il s’agit de taire les éléments caractérisant le viol – c’est-à-dire la pénétration non consentie – pour requalifier l’infraction en agressions sexuelles, c’est-à-dire en délit. Cette «proposition», faite presque systématiquement au cours de l’instruction lorsqu’il s’agit de fellations forcées ou de pénétrations digitales, y compris sur des enfants, nous vient en règle générale du Ministère Public, grand défenseur de l’ordre public, suivi de près par le juge d’instruction. Illégale, cette pratique l’est indubitablement puisque nul ne peut déroger à la règle selon laquelle les délits sont jugés par le Tribunal correctionnel et les crimes par la Cour d’assises. Pour renvoyer les affaires criminelles devant le Tribunal correctionnel, il faut donc les maquiller. Bien des commentateurs avisés expliqueront doctement que c’est pour le bien des victimes (délai de jugement moindre, sanctions censées être plus lourdes lorsqu’elles sont rendues par des magistrats professionnels etc.). Ils seront pourtant bien en peine d’expliquer pourquoi on n’a jamais vu un mis en examen et son avocat s’y opposer.

La vérité est simple : que les aspects les plus graves d’une infraction soient gommés par le Parquet et le Juge d’instruction eux-mêmes est une aubaine qui ne se refuse pas, surtout lorsque la peine encourue passe de quinze à cinq ans. Dans ce marché de dupes, le juge d’instruction sollicite l’accord de la victime, qui n’est souvent pas en mesure de comprendre les enjeux d’un tel procédé, surtout lorsqu’elle n’est pas assistée d’un avocat. Mais même si la partie civile est assistée, par ce procédé délétère, on lui fait jouer un rôle qui n’est pas le sien. Le Parquet ne remplissant plus sa fonction de défenseur de l’ordre public, la partie civile est en première ligne. Si elle veut que la loi soit respectée, elle devra s’opposer aux magistrats. Lorsque, faute de l’accord de la partie civile, cette correctionnalisation ne peut se faire, les réquisitions du Ministère Public et l’ordonnance du juge d’instruction en portent parfois la trace, et la notion de consentement a parfois une acception étonnamment large. Refus exprimé à de multiples reprises, traces physiques du viol, pressions, voire menaces ou violences, rien ne semble suffisant pour renverser l’idée d’un consentement présumé au point que l’on a parfois l’impression qu’il est tout simplement décrété.
Dans l’esprit des victimes, la surdité de l’institution judiciaire fait alors douloureusement écho au refus des agresseurs d’entendre le « non » qu’elles leur ont opposé. Mais dans le même temps, et souvent au prix de surprenantes contorsions juridiques, l’auteur ou les auteurs sont renvoyés devant le Tribunal correctionnel du chef d’agressions sexuelles, ce qui ne laisse pas de surprendre.

Enfin, au bout de plusieurs d’années d’efforts et de lutte, arrive la phase de jugement. Mais alors que la culpabilité de l’auteur ou des auteurs est reconnue, il n’est pas rare que la peine d’emprisonnement soit entièrement ou en grande partie assortie du sursis, y compris lorsque les viols ont été commis sur des mineurs, y compris lorsque les faits ont été commis par un parent sur son enfant, y compris lorsque les crimes ont duré des années. Au surplus, lorsque l’affaire a été correctionnalisée, la solennité de la Cour d’assises et la ritualisation font défaut, et les victimes découvrent que les magistrats ne consacrent guère plus de deux heures à leur affaire, jugée entre un vol de scooter et un usage de cannabis.

Au terme de ce parcours, quel message l’institution judiciaire adresse-t-elle aux auteurs et aux victimes, si ce n’est que tout ceci n’est finalement pas si grave ? Pour peu qu’ils aient déjà été condamnés, les auteurs de vols de téléphone portable dans le métro parisien jugés en comparution immédiate connaissent parfois un sort plus lourd. On est donc en droit de se demander quelle est la véritable échelle de gravité des infractions, ce d’autant qu’au plan de cette réparation symbolique que constitue l’indemnisation, les constats sont aussi amers. On n’obtient guère plus de 40.000€ pour un enfant violé durant des années. Comment expliquer ces montants à l’opinion publique lorsqu’un avocat célèbre obtient une simple provision de 50.000 € pour avoir glissé dans la baignoire d’un palace et s’être fracturé la clavicule ?

Il n’est nul besoin de se précipiter pour légiférer dans l’urgence, les textes ne sont pas mauvais, mais les mentalités sont archaïques. Il est temps qu’un débat ait lieu, que nous nous interrogions sur la société que nous voulons et que nous construisons.
Que se fassent les prises de conscience salutaires pour que nous sortions enfin définitivement de mentalités patriarcales qui assujettissent le corps des plus vulnérables. Que nous nous émancipions d’une société bourgeoise qui donne le sentiment que les infractions contre les biens sont plus graves que les crimes contre les personnes. Il est inutile d’encourager les victimes à briser le silence tant que l’on admet ces petits arrangements avec la loi pénale. Le viol est un crime, soyons cohérents !

Lisa LAONET, avocate au Barreau de Paris, spécialiste du droit des victimes et de la protection de l’enfance.
34 avenue des Champs-Elysées / 75008 PARIS 
cabinet.laonet@gmail.com 
Tél. 01 83 64 81 96  / Fax 01 83 64 82 20